• Le complot de la mousse à raser

     

    En fait, quand je réfléchis à ma vie, je me rends compte que j’ai toujours été complotiste. Dès mon plus jeune âge et j’en ai la preuve.

    Le premier scénario complotiste que j’ai imaginé concernait la mousse qu’utilisait mon père pour se raser. J’avais utilisé son rasoir sur ma moustache naissante (pour la faire pousser plus noire et plus drue) et ça avait fait disparaître le duvet sous mon nez sans aucune douleur et sans effet secondaire. Je me suis donc demandé pourquoi mon père s’emmerdait à se barbouiller le visage avec de la mousse et un blaireau avant de se raser.

    Je lui ai posé la question pendant qu’il se rasait et il m’a répondu, après deux secondes de réflexion, que c’était… pour assouplir les poils. Je n’ai pas cru une seconde à cette explication puisque moi, je n'avais pas eu besoin de mousse et après mûre réflexion, j’ai trouvé à quoi servait la mousse à raser : à n’oublier aucune zone du visage ! En effet, quelques touffes de poils oubliées par le rasoir dans un recoin du menton ou du cou indiquaient très clairement une grande vieillesse. Je le savais car on se moquait d’un vieux dandy qui habitait dans notre rue et qui, bien que rasé de près, gardait sur le menton ou dans le cou des zones non rasées. Pour moi, la mousse à raser n’avait donc aucune autre utilité que de vérifier visuellement qu’on n’avait oublié de raser aucune zone du visage et du cou.

    Mais évidemment, les utilisateurs de mousse à raser ne pouvaient l’avouer sous peine de passer pour des vieux, ce qui expliquait les deux secondes d’hésitation de mon père. Les fabricants de mousse à raser avaient connaissance de la gêne de leurs clients et ne pouvaient donc pas faire leur réclame sur ce point. Ils avaient donc  longuement réfléchi pour offrir à leurs clients des raisons plus nobles, plus présentables, plus avouables d’acheter leur mousse à raser : atténuer le feu du rasoir, assouplir le poil, hydrater la peau, que sais-je encore ?

    Bien sûr, à l’époque, Internet, blogs, Twitter, et autres Facebook n’existaient pas encore et cet énorme mensonge dévoilé par le lanceur d’alerte que j’étais, n’a pu être révélé qu’à mes copains les plus proches.

    Copains qui, il faut bien l’admettre, faisaient majoritairement partie de la majorité des moutons prêts à croire tout ce que les parents et le système leur racontaient.

     

     

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