• Métamorphoses d'une mégère

     2006

    "As-tu pensé à descendre la poubelle ? !"
    La femme qui me parle ainsi sur un ton sec et autoritaire, cher lecteur, est la femme de ma vie. Je ne vis avec elle que depuis un an mais elle a envahi ma vie et effacé mon passé. Une petite brune austère dont la sévérité des traits est à peine atténuée par de grands yeux candides. 
    Son caractère autoritaire et acariâtre et les nombreuses disputes qui occupent le plus clair du temps que nous passons ensemble auraient dû faire de ma vie un calvaire.
    Mais il n’en est rien, mes amis. Cette femme est, en dépit de tout cela, l’amour de ma vie et je n’imagine pas une seconde pouvoir aimer une autre femme qu’elle. Car, voyez-vous, cher lecteur, cette femme, en apparence banale, a une particularité étonnante. Contrairement à toutes ces créatures étranges qui attendent la tombée de la nuit pour se transformer en créatures maléfiques, ma belle se métamorphose quand vient la nuit en un ange auréolée de lumière.
    Le rituel est immuable : tous les soirs, après un bref passage dans la salle de bains, elle entre dans la chambre l’air grave, la tête penchée, affairée à enlever ses boucles d’oreilles. Puis elle les pose soigneusement dans un écrin de nacre, se place devant le miroir, défait son chignon austère et lâche ses longs cheveux noirs qu’elle brosse quelques secondes. Puis elle se tourne et avance vers moi.

    Et c’est là, à ce moment précis, cher lecteur, que la première phase de la transmutation a lieu. La mégère acariâtre a disparu pour laisser place à un ange immaculé, virginal dans sa tunique blanche décorée de petites fleurs printanières, son abondante chevelure auréolée de lumière (est-ce le reflet de la lampe sur le miroir ? Je n'en sais rien et peu importe, cher lecteur incrédule). Son regard se remplit de douceur et ses gestes deviennent délicats et attentionnés. Et rien de ce qui faisait sa personnalité diurne ne subsiste. Il ne reste que la douceur de ses gestes, l’éclat de son regard et son sourire de madone.
    Elle vient s’allonger contre moi quelques fois sans rien dire, d’autres fois en me susurrant des mots qui me troublent, des mots qui embrasent ma mémoire et chaque pore de ma peau. Et c’est là que survient la deuxième phase de la métamorphose, cher lecteur. L’ange immaculé et virginal devient une déesse de l'amour me faisant l’offrande sublime de sa sensualité.

    " Mon bien-aimé parle et me dit : Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! Mon bien-aimé est à moi, et je lui appartiens."

    Une femme qui retrouve des attitudes ancestrales et des mots qui remontent à la nuit des temps.

    "Je suis à mon bien-aimé et vers moi se porte son désir".

    Des mots simples qui me transportent hors du temps et me projettent sur les remparts fortifiés de Jérusalem, dans les jardins suspendus de Babylone ou dans la tente dépouillée d’un conquérant mongol.

    "Lève-toi, aquilon ! Souffle, vent d’autan ! Soufflez sur mon jardin, et que les parfums s’en exhalent ! Que mon bien-aimé entre dans son jardin et qu’il mange de ses fruits succulents !"

    Des mots et des gestes qui dégagent tant de sensualité que l’univers tout entier ne suffirait pas à la contenir.

    "Je me suis assise à l’ombre de mon bien-aimé et j’y ai pris plaisir et son fruit est doux à mon palais".

    Des mots qu’elle murmure à mon oreille dans l’obscurité de la nuit qui se confondent avec les rêves immémoriaux de mes gènes.

    Au petit matin, une fois retrouvées nos personnalités diurnes, je la regarde et je m’interroge… Ces mots que j’entends sont-ils bien ceux qu’elle prononce ou est-ce moi qui les imagine dans son regard et sur ses lèvres ?

    Et dans nos petits matins blêmes, dans ce décor de formica, trivial et médiocre, juste avant la prochaine dispute, je m’approche d’elle et la prends dans mes bras. Je la regarde. Et elle lit dans mes yeux :

    Toi qui apparais comme l’aurore,
    Belle comme la lune, pure comme le soleil,
    Mais terrible comme des troupes sous leurs bannières,
    Tu m’as ravi le cœur, ma douce, ma bien-aimée.
    Tu m’as ravi le cœur par ton regard.
    Que de charme ont tes amours, ma femme, ma bien-aimée !
    Ton odeur est plus douce que tous les parfums,
    Plus exquis que tous les aromates !
    Tes lèvres, ma bien-aimée, distillent le miel.
    Et ton souffle a la fraîcheur des montagnes du Liban".

     



    Ps : toutes les citations sont extraites du Cantique des cantiques de Salomon.

     

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