• Pauvre prolétariat !

    Mon pauvre prolétariat !

    Qu’est-ce que tu étais beau et grand et fort quand je t’ai connu ! Enfin… connu ! Disons quand j’ai entendu parler de toi pour la première fois au lycée ! J’étais très jeune -quoi ? seize, dix-sept ans ?- et on m’avait dit tellement du bien de toi que je suis tombé sous ton charme sans même t’avoir rencontré, juste par ouï-dire !

    Comment aurais-je pu résister, d’ailleurs ? Il était scientifiquement démontré que tu avais l’avenir de l'humanité entre tes mains, que tu détenais, seul, les clés de compréhension de l’histoire du monde et de l'univers, que tes idéaux étaient le progrès, la science, la générosité, le partage, la justice sociale, et l’épanouissement de l’homme.

    Quel bonheur, quel confort intellectuel j’ai ressenti de t’aimer dans ces années-là !

    Bon, plus tard, j'ai commencé à avoir quelques doutes en apprenant que ce n’était pas toi qui dirigerais la société, mais ton "fer de lance", les dirigeants autoproclamés de ton fan-club, en fait des curateurs qui t'avaient mis sous tutelle et que leur programme était de faire table rase de tout ce qui existait, et notamment des élections qualifiées de "bourgeoises".

    Quelques décennies plus tard,  tu as fini par laisser tomber ces escrocs. Quand tu as compris que ce qu’ils avaient instauré en ton nom étaient les dictatures les plus féroces et les plus sanglantes de notre époque, voire de toute l’histoire de l’humanité, que leur société n’avaient jamais produit un seul artiste digne de ce nom, une seule découverte scientifique intéressante,  et qu’elles étaient les dernières sociétés sur cette planète à connaître des famines épisodiques, tu as décidé de les quitter. Et tu as bien fait !

     

    Mais voilà qu’on me dit aujourd’hui que tu les as quittés pour t’acoquiner avec des crapules du même acabit, des admirateurs d’assassins, des ségrégationnistes impénitents, des chasseurs de sorcières !  Mon pauvre prolétariat, tu es vraiment incorrigible, écoute !

    Qu’est ce qui a bien pu se passer dans ta tête ? Qu’est-ce qui peut bien t’attirer chez ces gens-là ? Des gens qui ne jurent que par l’ordre, la discipline et l’obéissance aux maîtres ! Des gens qui, à différentes époques, ont défendu la colonisation, la ségrégation, l’apartheid et leur lot de mépris racial institutionnalisé ! Des gens qui ont collaboré avec l’ennemi en temps de guerre, qui ont été anti-dreyfusard, qui ont manifesté mille fois contre la république, qui ont appelé à fusiller Blum "mais dans le dos" ! Des gens qui tout au long de leur histoire se sont opposés à TOUTES les avancées sociales, sans exception, même les plus modestes, même les plus symboliques, même celles qui tentaient de protéger un peu les femmes enceintes travaillant à l'usine ou les enfants dans les mines !

    Et c’est ces gens-là que tu choisis aujourd’hui pour défendre tes intérêts, pour faire avancer le progrès social, pour améliorer ton sort et celui des retraités et des petites gens ?

     

    Non, décidément, c'en est trop pour moi. Je crois que les voies du prolétariat sont impénétrables. Je ne comprendrai jamais rien aux subtilités dialectiques de la lutte des classes ! C’est fini, je renonce à comprendre !

     

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