• Un migrant syrien

     

    Lui, il est chrétien. Il habitait Damas, relativement épargné par la guerre. Il est pro-Bachar, comme tous les chrétiens. Il travaillait dans l’informatique pour une société de téléphonie mobile et gagnait bien sa vie. Il est parti, me raconte-t-il, parce qu’il avait peur d’être rappelé pour un second service militaire. Il a 33 ans et a déjà fait son service militaire (de trois ans !) ça fait plus de dix ans déjà. Mais bon, pour remplacer les dizaines et les dizaines de milliers de morts, l’armée syrienne est en train d’appeler sous les drapeaux des hommes de plus en plus âgés.

    Alors il a décidé de partir pour ne pas faire la guerre. Il aime Bachar, il hait Daech, mais il ne veut pas faire la guerre.

    Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’en Europe des milliers d’hommes partent se battre aux côtés de Daech alors qu’en face personne ne veut se battre contre eux. Ce sera pareil demain en Europe. Mais bon… Qui suis-je pour juger du courage des gens ? Et puis j’ai promis à mon arrière-grand-tante libanaise de le rencontrer pour lui remonter le moral, pas pour lui faire la morale.

    Il a donc décidé de partir. Il a récupéré toutes ses économies, donné sa voiture à son grand frère, a prévenu ses proches et est parti avec trois copains pour un voyage qu’il savait sans retour.

    Il l’a fait au moment où c’était encore facile. Facile et bien organisé par le réseau à qui il avait confié son destin et peut-être sa vie. Pour se rendre en Turquie, pas besoin de visa pour un court séjour. Puis la traversée du pays en bus en deux jours sans arrêt à part des pauses pipi dans les stations-service. Puis l’arrivée sur la côte de Mersin. Il n’a pas pris un boat people. Il avait de l’argent, il a pu se payer un bateau sûr. Un petit canot pneumatique sur la côte les a emmenés sur un grand bateau de la taille d’un ferry qui mouillait loin en pleine mer.

    Au départ il voulait se rendre en Suède. Il avait entendu dire que c’est dans ce pays que les réfugiés étaient les mieux traités. Mais il a dû composer dès son arrivée sur l'île grecque avec des sauveteurs qui les ont accompagnés vers une commission d’accueil. La commission, composée de trois hommes assistés d’un traducteur, vérifiait les papiers d’identité puis posait quelques questions pour vérifier la véracité des papiers. On lui a demandé sa religion. Quand il a répondu qu'il était chrétien, on lui a demandé s'il avait une preuve. Il a dégrafé un bouton et a montré sa croix. Pour contrôler qu'il était bien Syrien, on lui a montré la photo d’une femme en lui demandant qui c’était. Il savait. C’était la femme du président Bachar. Ensuite ils lui ont montré la photo d’une plaque d’immatriculation en lui demandant s'il savait de quelle région elle provenait. Facile, la plaque était du gouvernorat de Damas.

    Ils lui ont donc remis le document qui lui permettait de circuler légalement en Grèce en lui demandant de se rendre dans les 15 jours à une adresse à Athènes pour s’inscrire comme réfugié. C’est là qu’il a appris, dans une interminable file d’attente, qu’il était "affecté" en Allemagne.

    En Allemagne, il a été logé dans un foyer de réfugiés et il touche une allocation (j’ai pas osé lui demander de combien) avec comme contrepartie qu’il apprenne la langue allemande.

    Dans la baraque où il a sa chambre de 12 m², il est le seul Syrien, ce qui lui paraît curieux, compte tenu du million de Syriens dont parle la presse. Ses colocataires sont Erythréen, Pakistanais et Africain.

    Après moins d’un an, il se débrouille pas mal en allemand. On lui a promis du travail bientôt quand il parlera un peu mieux. Ce sera un stage, un boulot non rémunéré mais il continuera à toucher ses allocs pendant ce temps.

    Il a rencontré une fille, une allemande. Elle aime beaucoup parler, dit-il. Lui, il est plutôt taciturne. Au début, il pensait qu’elle était juive parce que lorsqu’ils évoquaient la guerre au Moyen-Orient, elle parlait d’Israël comme d’un allié. Il lui a dit un jour que les juifs étaient les alliés de Daech et les ennemis de la Syrie et de tous les pays arabes. Elle lui a répondu " Ah bon ? OK !" . Je lui recommande, pour ne pas avoir de problème, de parler d’Israël plutôt que "des juifs" quand il parle des ennemis de la Syrie .  Il hoche la tête d'un air entendu. Je pense qu'on le lui a déjà dit.

    Ca va faire un an, maintenant, qu’il est arrivé. Il déprime. Son dossier avance trop lentement. Un fonctionnaire lui a dit quelque chose comme "mais, dites-moi, ce n’est pas ce que vous avez déclaré en arrivant !". Il ne sait pas de quoi il s’agit. Il pense que les traducteurs de la commission d’accueil, des Turcs musulmans, ont saboté les dossiers des nouveaux arrivants chrétiens.

    Il n’aime pas la grisaille ambiante, n’aime pas ses colocs, il a des aigreurs d’estomac qui le font souffrir. Il pense qu’on ne lui offrira jamais plus qu’un boulot de manutentionnaire.

    Il fait déjà nuit. Je dois y aller. Il me demande de confirmer à sa famille qu’il va bien, qu’il a un bon boulot et un bel appart. Je le lui promets.

     

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