• 48 mois !

    C’était il y a six ans.
    Elle demande au médecin : "dites-moi la vérité, Docteur, qu’est-ce qui me reste à vivre ?"
    - 48 mois en moyenne, mais…

    Putain !!! 48 mois ??? Son espérance de vie se compte en mois ??? 48 mois…! ça fait quoi, 48 mois ? Quatre ans ?

    Je me tourne vers elle. Elle n’a pas entendu. Elle ne s’attendait pas à une réponse aussi rapide. Après avoir posé la question, elle s’est déconnectée mentalement quelques secondes pour bien se caler dans son siège et se préparer à le harceler une fois de plus avec des questions du genre " ne me cachez rien… j’exige de connaître la vérité… j’en ai le droit".
    Elle n’entend donc que la fin de la phrase
    - (48 mois en moyenne mais) nous avons des patientes qui tiennent depuis dix ans.
    _ Dix ans ? dit-elle, l’air pensif ! Ben, c’est pas mal, je m'attendais à moins,  et puis vous aurez trouvé de nouveaux traitements d’ici-là.
    Il la rassure " Oui la recherche sur le cancer avance très vite et chaque année apporte son lot de nouveautés…

    Arrivé à la maison, je me précipite sur Google à la recherche de "cancer du sein avec métastases osseuses" dans l’espoir de… de quoi au juste ?
    Le premier site sur lequel je tombe commence par "bien que les métastases osseuses soit synonymes d’incurabilité…"
    OK, pas la peine d’aller plus loin. Elle est condamnée à mort. L’ablation du sein, la chimiothérapie, la radiothérapie, l’hormonothérapie ne suffiront pas à éradiquer le mal. La mort est en elle, collée sur ses os et prête à se répandre.

    Trois ans se sont écoulés.
    Une particularité de son organisme (une "mutation" de quelque chose) la rend éligible à un médicament très prometteur. Elle commence le traitement. La recherche Google sur ce nouveau médicament donne des articles très élogieux. Une revue médicale parle même de "petit miracle". Le petit miracle en question étant une augmentation de la SSP (survie sans progression -de la maladie-) de… 11 mois, en moyenne. Les effets indésirables sont nombreux (démangeaisons, diabète, somnolence) mais supportables. Elle a perdu trente kilos en trois ans. Elle n’aime pas sa nouvelle silhouette mais curieusement, ayant gardé ses réflexes de femme toujours entre deux régimes amaigrissants, elle continue à m’annoncer ses pertes de poids régulières comme s’il s’agissait de bonnes nouvelles.


    C’était il y a trois mois
    La SSP a atteint ses limites. Les métastases se sont déposées sur son foie. Douleurs insupportables, hospitalisation, antalgiques puissants, morphine, chimio en urgence…

    Puis retour à la maison et une vie à peu près normale ponctuée par les prises de médicaments, la fatigue, la nausée, les prises de sang au labo, les visites médicales et  les séances de chimio hebdomadaires.  Mais aussi la cuisine, le ménage, la déco de l'appart, la télé et les innombrables coups de fil de la famille et des amies.

     

     

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