• Et voilà pourquoi, Monsieur, votre fille est malade

     

    GÉRONTE : Entrez, Docteur Meluche, nous vous attendions.

    Dr MELUCHE : Est-ce là votre fille, la malade ?

    GÉRONTE : Oui, c'est ma fille Démocratie. je n'ai plus qu'elle et j'aurais tous les regrets du monde si elle venait à mourir.

    Dr MELUCHE : Qu'elle s'en garde bien, il ne faut pas qu'elle meure avant que je sois prêt.

    GÉRONTE : Allons, vite, un siège pour le Doctor Maximo !

    Dr MELUCHE (en aparté) : Démocratie... Voilà une malade fort dégoûtante et je tiens qu'un homme bien sain ne saurait s'en accommoder.

    GÉRONTE : Que murmurez-vous là ? Vous lui faites peur, Docteur !

    Dr MELUCHE : Tant mieux, lorsque le malade a peur, c'est le meilleur signe du monde. Eh bien ! de quoi est-il question ? De quel mal souffre-t-elle ?

    GÉRONTE : Monsieur, sa maladie est qu'elle est confuse et anxieuse pour son avenir

    Dr MELUCHE : Et pourquoi cela ?

    GÉRONTE : Pour les prochaines élections elle semble incapable de prendre une décision cohérente et refuse de s'exprimer clairement

    Dr MELUCHE (en aparté) : Et qui est ce sot-là, qui ne veut pas qu'elle soit confuse et anxieuse avant d'aller voter ? Plût à Dieu qu'elle le reste, je me garderais bien de la vouloir guérir.

    GÉRONTE : Enfin, Monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins, pour la soulager de son mal.

    Dr MELUCHE : Ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu, ce mal l'oppresse-t-il beaucoup ?

    GÉRONTE : Oui, Monsieur.

    Dr MELUCHE : Tant mieux. Se sent-elle anxieuse pour son avenir ?

    GÉRONTE : Très

    Dr MELUCHE : Fort bien. En souffre-t-elle ?

    GÉRONTE : Oui...

    Dr MELUCHE (se tournant vers la malade) : Donnez-moi votre bras. (Il prend son pouls) Voilà un pouls qui marque que votre fille est confuse et anxieuse...

    GÉRONTE : Eh! oui, Monsieur, c'est là son mal : vous l'avez trouvé du premier coup.

    Dr MELUCHE : Nous autres grand visionnaires, nous connaissons d'abord les choses. Un ignorant aurait été embarrassé, et vous eût été dire : « C'est ceci, c'est cela » : mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille Démocratie est confuse et anxieuse.

    GÉRONTE : Oui, mais je voudrais bien que vous me pussiez dire d'où cela vient.

    Dr MELUCHE : Il n'est rien de plus aisé. Cela vient de ce qu'elle souffre de confusion et d'anxiété.

    GÉRONTE : Fort bien : mais la cause, s'il vous plaît, qui fait qu'elle est confuse et anxieuse ?

    Dr MELUCHE : Tous nos meilleurs auteurs vous diront que ce sont le matérialisme et la dialectique qui l'empêchent de prendre les bonnes décisions pour son avenir.

    GÉRONTE : Mais, encore, vos sentiments sur la cause de cet empêchement ?

    Dr MELUCHE : Lénine, là-dessus dit… de fort belles choses.

    GÉRONTE : Je le crois

    Dr MELUCHE : Ah ! c'était un grand homme !

    GÉRONTE : Sans doute.

    Dr MELUCHE : Grand homme, tout à fait : un homme qui était plus grand que moi de tout cela. Pour revenir donc à notre raisonnement, je tiens que cet peur de l'avenir est causée par certaines humeurs, qu'entre nous autres, léninistes, nous appelons dialectiques, mais aussi matérialistes, c'est-à-dire... relatives à la lutte de classes... Entendez-vous le marxisme-léninisme ?

    GÉRONTE - En aucune façon.

    Dr MELUCHE (avec étonnement) : Vous n'entendez rien au marxisme-léninisme ???

    GÉRONTE - Non.

    Dr MELUCHE (sur un ton professoral)
    Luttes de classes... impérialisme... dialectique... matérialisme,  effacement de la dette, à mort l'Otan, aux chiottes l'Europe... assemblée constituante...

    GÉRONTE - Ah! que n'ai-je étudié?

    Dr MELUCHE - Tout cela pris dans un certain ordre peut avoir comme conséquence que... Soyez attentif, s'il vous plaît !

    GÉRONTE - Je le suis.

    Dr MELUCHE : Je disais donc... peut avoir comme conséquence que... que votre fille Démocratie vivant dans une dictature comme la nôtre et subissant la paupérisation croissante de la classe ouvrière, a donc de ce fait, de la peine à exprimer ses désirs de parti unique, de référendum révocatoire et de dictature du prolétariat...

    GÉRONTE - Ah! que cela est bien dit !

    Dr MELUCHE : Et voilà justement ce qui fait que votre fille Démocratie est malade !

    GÉRONTE - On ne peut pas mieux raisonner, sans doute. Il n'y a qu'une seule chose qui me surprend : Je n'ai pas observé la dictature et la paupérisation croissante que vous avez évoquées

    Dr MELUCHE - Oui... cela est dû au fait que vous vous fiez à vos sens ! Il faut faire confiance aux spécialistes comme moi qui connaissent, mieux que vous, ce qu'il convient de voir et de penser.

    GÉRONTE - C'est ce que je ne savais pas, et je vous demande pardon de mon ignorance.

    Dr MELUCHE - Il n'y a point de mal, et vous n'êtes pas obligé d'être aussi habile que moi.

    GÉRONTE - Assurément. Mais, Docteur, que croyez-vous qu'il faille faire à cette maladie pour la guérir ?

    Dr MELUCHE : Pour la guérir ?

    GÉRONTE - Oui.

    Dr MELUCHE : Mon avis est qu'on achève votre Démocratie et qu'on la remplace par une autre !

    GÉRONTE - Achever Démocratie et la remplacer...? Mais... par qui ?

    Dr MELUCHE : Je préconise la Démocratie populaire, une fille parfaite en tous points

    GÉRONTE : Et en quoi est-elle parfaite, Docteur ?

    Dr MELUCHE : Parce que Démocratie populaire ne dira que ce que je lui dirai de dire et ne fera que ce que je lui dirai de faire. En conséquence , elle ne sera ni confuse ni anxieuse  !

    GÉRONTE  :  Ah, le grand homme ! Vite, achevons la Démocratie!

     

     

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