• Le poète a un truc bizarre

    Le poète a un truc bizarre.  Comme le peintre. On a l'impression que c'est inscrit dans ses gènes.  Ce n'est pas comme chanter ou faire du théâtre, où là on a un peu l'impression que c'est le fruit d'une démarche volontaire et parfois même familiale. On n'est pas poète de père en fils.  Le poète est une exception.  

    Poésie et peinture, activités hautement intellectuelles, semblent indépendant de la volonté des intéressés. Tu vois ce que je veux dire  ? Un garçon de 16 ans comme Rimbaud  SAIT qu'il est poète. Il le sait, il le dit, il ne s'en vante pas, alors qu'il est encore un enfant, il le sait, c'est tout. Par ailleurs, il est peut-être prétentieux et arrogant, écolier médiocre, mauvais fils et amant passionné, mais ça n'a rien à voir !  Il n'est pas devenu poète parce qu'il avait vécu quelque chose qui méritait d'être raconté. Non, il était poète et avait quelque chose d'indéfinissable à dire qui n'avait rien de directement lié à son histoire. C'est pour cela qu'il peut se permettre de dire "JE", parce que ce n'est pas de lui qu'il parle !

    Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. − Pardon du jeu de mots. −

     

    Il y a deux parcours de poètes qui m'ont toujours étonné :

    - Alexis Leger (dit Saint John Perse) était diplomate. Il a travaillé toute sa vie au ministère des affaires étrangères comme haut fonctionnaire. Il s'est soucié de sa carrière, il a exécuté des consignes, il a préparé des dossiers pour ses supérieurs, posé ses demandes  de congés… Et par ailleurs, sans que cela n'ait rien à voir avec l'essentiel de ce qui faisait sa vie, un peu comme ces drag-queens que l'on nous montre dans la téléréalité, en rentrant chez lui, il se métamorphosait : il devenait poète et écrivait des choses bizarres sur un ton bizarre, une sorte de poésie épique, grandiose, avec une espèce de souffle biblique ou mythologique ! Un ton grandiose et épique pour parler, parfois, de petites choses de la vie. Des choses aussi banales que son enfance heureuse, la pluie qui tombe, et le bonheur de savoir dire les choses qui sont profondément enfouies en nous, les grands "bonheurs d’expression"

    « Ô Pluies ! lavez au coeur de l’homme les plus beaux dits de l’homme : les plus belles sentences, les plus belles séquences ; les phrases les mieux faites, les pages les mieux nées.

    Lavez, lavez, au coeur des hommes, leur goût de cantilènes, d’élégies ; leur goût de villanelles et de rondeaux ; leurs grands bonheurs d’expression ; lavez le sel de l’atticisme et le miel de l’euphuisme, lavez, lavez la literie du songe et la litière du savoir...» 

     

    - Le deuxième parcours  est celui d'Aimé Césaire: il écrit, à son retour en Martinique après ses études en France,  en 1938 , un long poème d'environ quarante pages, intitulé Cahier d'un retour au pays natal qui deviendra  une œuvre majeure de la poésie du XXe siècle, et restera pendant des décennies l'oeuvre ayant fait l'objet du plus grand nombre de thèses de doctorat dans les universités de Lettres du monde entier. 

    Mais au départ, le professeur de français qu'il est devenu et qui prend son métier à coeur,  fait publier  son poème à compte d'auteur dans son île et le met en vente dans quelques  boutiques de l'île (André Breton, lors d'une escale, découvrira son livre dans une mercerie). Qui, au sein d'une population massivement illettrée et vivant dans une grande pauvreté à cette époque, pouvait avoir l'envie ou les moyens  d'acheter un long poème, de surcroît surréaliste avec, pour terminer de décourager l'éventuel acheteur, un début pas très engageant laissant penser à une révolte d'adolescent :

    Va-t’en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache, va-t’en je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance. Va-t’en mauvais gris-gris, punaise de moinillon. 

    (Mais qui devient très vite d'une beauté  "césairienne")

    Puis je me tournais vers des paradis pour lui et les siens perdus, plus calme que la face d’une femme qui ment, et là, bercé par les effluves d’une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les montres et j’entendais monter de l’autre côté du désastre, un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane...

    Il publie donc son poème et le met en vente dans les deux petites librairies qui devaient exister à cette époque dans son île, et dans d'autres boutiques comme cette mercerie !  Il sait qu'il est poète et, à mon avis,  connaît la valeur de ce qu'il a écrit, et pressent que l'oeuvre dépasse  très largement le cadre de sa petite île, mais décide de laisser le hasard faire le reste. Il sait qu'il est un des poètes de l'humanité en marche et qu'on le découvrira un jour, peu importe que ce soit après sa mort ! Comme ce fut le cas de Lautréamont et de Rimbaud, deux poètes pour qui il éprouve une admiration sans borne.

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