• Les compliments non genrés d'Ulysse

    Cette année-là, j’avais dû accepter, je ne sais plus pourquoi,  de passer mes vacances en famille chez ma belle-mère.  Je me suis emmerdé comme un rat mort ! Même pas pu passer un peu de temps avec mes enfants complètement accaparés par elle. Trois semaines au cours desquelles j’ai eu le temps de me taper l’Iliade et l’Odyssée version intégrale miraculeusement trouvés dans sa bibliothèque entre deux "Prière miraculeuse à saint Expedit" et "Psaumes pour guérir les malades"!

    Et c’est dans l’Odyssée, que j’ai trouvé ce compliment curieux à plus d’un titre, que j’ai immédiatement noté dans mon calepin et que je voudrais soumettre à votre réflexion :

    (Contexte : Ulysse, rescapé d’un naufrage est allongé sur le rivage, épuisé. Il est nu, sale et hirsute. Quand arrive la princesse Nausicaa, il se cache derrière un buisson, puis…)

    "… le divin Ulysse sortit des broussailles. De sa main vigoureuse, il arracha un rameau feuillu pour cacher sa virilité et, tout nu qu’il était, adressa à la belle Nausicaa ce discours habile et doux : – Es-tu reine, déesse ou mortelle ? Si tu es mortelle, trois fois heureux ton père et ta vénérable mère ! Trois fois heureux tes frères ! Mais plus heureux encore celui qui t’ayant comblée de cadeaux, t’emmènera dans sa maison ! Jamais je n’ai vu de mortel, homme ou femme, aussi beau ! Je suis saisi d’admiration ! Avant toi un jour à Delos, devant l’hôtel d’apollon, j’ai vu semblable beauté : un jeune palmier et mon cœur fut, comme aujourd’hui, saisi ! Comme lui, je t’admire, ô femme, et mon cœur est saisi !"

    Voici donc la question que me pose ce compliment : Non, non, ce n’est pas qu’il ait eu besoin d’un "rameau feuillu" pour cacher sa virilité ! Ce genre de vantardise a toujours eu cours chez les hommes et, comme je n’ai plus 16 ans, je ne vais pas vous raconter qu’à sa place je l’aurais plutôt enroulé autour de ma cuisse !

    Non, ce qui provoque ma réflexion est plutôt ceci : pour faire son compliment à la belle Nausicaa, Ulysse compare sa beauté à celle de toutes les femmes ET de tous les hommes qu’il a rencontrés auparavant. Comment comprendre cela ? Le divin Ulysse aurait-il voyagé à voile et à vapeur ? Selon moi l’hypothèse est crédible car un hétéro pur porc ne fait pas ce genre de compliment à une femme. Parce que dans la vision d’un hétéro, même quand la société le pousse à affirmer que " la femme est un homme comme les autres", les critères de la beauté féminine sont trop différents de ceux de la beauté masculine pour qu’une telle expression lui vienne à l’esprit. Parce que pour un hétéro, les canons de la beauté féminine tournent autour de l’harmonie, des courbes et de la grâce pour ne pas dire de la fragilité, alors que ceux de la beauté masculine sont plutôt associés aux notions de force brute, de formes abruptes, ou de muscles saillants. Parce que pour un hétéro, il y a des "beaux mecs" et de "belles femmes" mais pas de "belles personnes" en général.

    Mais bon, jusque la, admettons je sois à côté de la plaque ! Je sens que je ne vous ai pas convaincu. Vous vous dites qu'on est dans la Grèce antique… qu'il ne faut pas juger ce genre de choses avec le regard de notre siècle… ! Ok !

    Mais quand on entend ensuite Ulysse comparer l’émotion qu’il éprouve devant la beauté de Nausicaa avec celle qu’il a ressentie DEVANT UN JEUNE PALMIER, on ne peut pas ne pas être perplexe ! Que peut-il bien vouloir dire par là ? A mon avis pas de doute possible : Ulysse ne compare PAS la beauté de Nausicaa à celle d’un végétal. Le jeune palmier en question symboliserait plutôt, selon moi, un éphèbe en érection ! Ou même mieux : symboliserait une érection tout court ! Et vous remarquerez, d’ailleurs, que les expressions qu’il emploie pour dire ce qu’il a ressenti sont "j’admire" et "mon cœur fut saisi", sentiment que l’on ressent rarement devant une plante verte !

    Bon, je ne sais pas si je vous ai convaincu, mais pour moi, les choses sont claires : Ulysse le brave, Ulysse le fier, Ulysse qui, à la question " qui es-tu, noble étranger ? », répondait toujours en relevant le menton et en bombant le torse : " je suis Ulysse, fils de Laerte et roi d’Ithaque, mes ruses sont connues des hommes et ma gloire est montée jusqu’aux cieux », Ulysse, donc, avait une tendance à la bisexualité.

    Refoulée, peut-être, car si son long voyage de retour à Ithaque a été émaillé de  nombreuses aventures amoureuses,  aucune d'entre elles ne concernait des hommes.

    Oui, je sais, vous vous en foutez qu’Ulysse ait pu manger à tous les râteliers et vous me direz d’aller me faire voir chez les Grecs !
    Mais je vous rappellerais qu’on parle d’Ulysse, là, quand même ! Un des héros auxquels je me suis identifié au cours de ma jeunesse ! Cela m’oblige à réinterpréter plein de rêves que j’ai pu faire à l’époque !

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