• Généalogie rêvée

    Au début de mon histoire, il y a la silhouette fluette d’une arrière-grand-mère paternelle que j'ai connu dans mon enfance et celle, décrite par ma mère, d’une arrière-grand-mère maternelle. Et leurs ascendants que je ne connaitrais jamais. Pour ce que j'en sais, ils étaient dispersés à travers la vaste monde. Ils ont vécu entre le Tigre et l’Euphrate, sur les bords du Gange, le long de la Seine. Ils ont voyagé dans toute l’Europe, en Amérique du Nord et dans les Caraïbes. Cette dispersion géographique, si elle fait de moi un authentique citoyen du monde, est de nature à compliquer considérablement les recherches généalogiques.

    Généalogie rêvée

    Mais peu importe, car je ne partage pas la frénésie de mes contemporains pour cette discipline. La recherche généalogique, telle qu’elle est pratiquée de nos jours, a un travers majeur : le premier général d’empire venu qui aura culbuté une aïeule dans l’arrière-cuisine d’une auberge, le plus petit marquis poudré évoqué au détour d’un témoignage épistolaire, prennent une place considérable et occultent tous les braves gens qui ont fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui.

    Et puis, en matière de généalogie, j’ai toujours préféré laisser libre cours à mon imagination.

    Parfois en fermant les yeux, je remonte dans le temps, je survole mon père et ma mère, puis mes quatre grands-parents et puis, de plus en plus rapidement, mes huit arrières grands-parents et puis plus rapidement encore, je passe en revue une longue lignée d’inconnus qui défilent si rapidement que je ne peux distinguer que leurs silhouettes furtives, et je remonte, et je remonte encore, pour m’attarder au premier homo erectus rencontré. 

    Car c’est une certitGénéalogie rêvéeude absolue et scientifiquement prouvée :Au début de mon histoire, il y a un homme et une femme nus et couverts de poils qui, tout en luttant pour leur survie dans un milieu hostile, ont engendré un petit homme et l’ont protégé jusqu’à ce qu’il devienne autonome. Pour les aider plus tard quand ils seraient vieux ? pour laisser une trace de leur passage sur cette terre ? pour obéir à de mystérieux messages ADN ?

    Au début de mon histoire, il y a un homme qui se levait aux aurores pour contempler la beauté du monde, un homme en quête d’un coin de terre ou s’installer en attendant mieux, un nomade qui rêvait de devenir sédentaire une fois trouvé son paradis sur terre.

    Et puis aussi, parce que mon imagination est encore plus vaste que mes origines géographiques, j'ai d'abord cherché ma généalogie dans les premiers livres d'histoire illustrés de mon enfance.

    Ces livres d’histoires abondamment illustrés me fascinaient. Mon père m’avait dit une fois "nous sommes quelque part là-dedans, cherche bien". "Nous", c’était la famille, les aïeuls. Quelle idée de génie ! Je me suis mis à rechercher mes ancêtres dans les illustrations et j’ai continué bien après.

    Généalogie rêvéeJe passais rapidement sur la page "Jules César conquiert la Gaule" avec un dessin représentant Vercingétorix jetant ses armes aux pieds de César et je m’attardais sur la page suivante "les gallo-romains" illustrée d’images d’artisans en train de battre le fer, de bouchers devant leurs étals, d’ouvriers en train de tailler la pierre. C’était eux mes parents lointains, mes ancêtres.

    Si j’observais attentivement la page "Clovis roi des francs" ce n’était pas pour admirer Clovis debout sur un bouclier porté par ses hommes et acclamé par la foule, c’était pour rechercher qui, dans cette foule, pouvait avoir nos traits, ceux de ma famille.

    Généalogie rêvée

    Je continuais et m’arrêtais à la page "Le temps de cathédrales" et j’observais avec attention ces ouvriers, burin et marteau à la main en train de travailler la pierre, ces paysans en train de porter de lourds fardeaux sur leurs épaules pour y rechercher mes ascendants.

    Mes ancêtres, j’en étais sûr, ne pouvaient être ni ces gueux sur le parvis de l’église en train de mendier, ni ces deux nobles en train de discuter avec un homme d’Eglise au premier plan.
    Mes ancêtres c’étaient ces petits bonshommes barbus qui soignaient les plaies du chevalier Bayard agonisant ou qui tendaient à Bernard Pallissy les bûches pour alimenter son foyer.

    Je faisais quelques fois la lecture à ma petite soeur, qui ne savait pas encore lire et je lui présentais nos ancêtres : "lui, c’est notre ancêtre du côté de papa… elle, c’est l’arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère de maman". Parfois, elle était sceptique : "Comment tu sais ça ? " - "Ben, c’est écrit là, regarde !" -"Ah oui !"

    Généalogie rêvéeCeci dit, je ne lisais pas que des livres d'histoire.  Mes héros étaient des héros de bandes dessinées : Prince Vaillant, Tex Cassidy, Akim ou de cinéma : Hercule, Ursus, Maciste, ou le fruit de mon imagination.

    Mais je rêvais d’ancêtres ! J’avais des parents, des oncles et des tantes, des grands-pères et des grands-mères, des cousins et des cousines… Il ne me manquait que des ancêtres, des vrais, pas des héros ! Des ancêtres dispersés un peu partout sur la planète, pour faire partie non pas seulement d’une famille, d’un clan, mais pour faire partie de l’Histoire, pour être partie prenante du vaste monde, pour être un membre de la grande communauté humaine !

     

     

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