• Mes ex-libris


    On lit dans une vie des centaines et des centaines de livres. On en oublie beaucoup, en espérant qu’ils ont quand même imprimé quelque chose dans notre cerveau. Et on se souvient d’autres, parfois lus il y a très longtemps. On s’en souvient plutôt pour des raisons externes au contenu des livres. Des circonstances qui sont des petits ex-libris qui nous rappellent que ces livres ont été, à un moment de notre vie, à nous.


    Le club des cinq
    J’en ai lu des dizaines mais je ne me souviens de rien, même pas des personnages. Le souvenir associé est extérieur aux livres. Quand l’ophtalmo apprend à ma mère que j’ai une légère myopie qu’il faut corriger, elle lui demande si c’est parce que je lis trop. Ca me rend plutôt fier mais je crains la réponse du médecin. "Non, non, laissez-le lire autant qu’il veut" répond-il, sur un ton bienveillant et paternaliste en me passant la main dans les cheveux.

    Les trois mousquetaires
    Je me lance dans la lecture des Trois mousquetaires sur les conseils d’un de mes oncles. Je n’accroche pas vraiment. Un personnage me bloque : c’est Madame Bonacieux. L'explication, je crois, c’est qu’à cette époque je m’identifiais assez facilement aux histoires d’amour de mes héros et que je n'ai pas réussi à projeter mes désirs d'ado sur une amoureuse que tout le monde appelait "Madame" (Bonacieux de surcroît, quel vilain nom !) et qui, en plus, était lavandière (donc forcément grosse, non ?)

    Et encore, je n’avais même pas capté à l’époque qu’elle était mariée à un Monsieur Bonacieux !

     

    Le petit chose
    Je me souviens que Le petit chose m’a arraché des larmes. L’histoire triste d’un enfant timide et victime de harcèlement scolaire (comme on dit aujourd’hui). L’histoire précise, je ne m’en souviens plus. Mais je l’associe à un des rares sentiments d'injustice que j’ai subi dans mon enfance. Ca se passe en Martinique, bien sûr. Alors que je rentre d’une semaine d’absence pour maladie, le prof métropolitain (Français blanc pour ceux qui ne connaissent pas ce mot) me fait passer au tableau pour m’interroger sur la leçon du jour. Je lui dis que j’étais malade toute la semaine, que je viens de reprendre les cours et que je ne connais pas la leçon. Il me crie dessus, me renvoie à ma place d’une façon humiliante et me met un zéro pointé. Je le ressens d’autant plus amèrement que j’aimais bien ce prof. Un pion me donnera quelques mois plus tard l’explication de cette agressivité : Des parents d’élèves et des profs lui reprochaient d’être très tolérant avec les élèves "blancs métropolitains" et très sévère avec les élèves noirs. En saquant un petit blanc (mais non "métro", avec un nom de famille libanais), il voulait montrer qu’il n’était pas raciste et qu’il était aussi sévère avec les élèves blancs qu’avec les noirs."

     

    La Guerre du feu avait laissé dans ma mémoire d'enfant des paysages de jungle plutôt sombre et humide parsemée de marécages et de crevasses. Ayant vu dans la bande-annonce du film des paysages très différents, je m’étais promis de ne pas aller voir le film pour ne pas effacer cette ambiance de ma mémoire. Je n’ai pas tenu ma promesse évidemment.
    Mais c’est surtout une anecdote curieuse qui me raccroche à ce livre. Quand, à la sortie du film, j’ai repensé au livre que j'avais lu plus de trente ans auparavant, une phrase m'est revenue en mémoire. Elle est prononcée à la fin du livre quand Naoh raconte ses aventures à sa tribu, la nuit, autour du feu. Dans mon souvenir, c'était "En ces temps farouches, les mots étaient rares, mais leur pouvoir d’évocation intense et puissant". C'était une belle façon d'évoquer la naissance, avec le langage,  de la poésie et du roman épique. 

    En fait, la phrase exacte retrouvée dans le livre était plus belle encore que dans mon souvenir : En ces temps, les mots étaient rares, leur force d’évocation courte, brusque et intense… Le rugissement des flammes approuvait le récit."

    Le mot "farouche" ajouté par ma mémoire vient certainement de "Rahan, le fils des âges farouches" :-).

     

    San Antonio
    On va accueillir un oncle militaire de carrière à l’aéroport. Il dépose le livre qu’il a à la main sur ses bagages pour embrasser tout le monde. Je prends le livre, je l’ouvre à la première page. Ca commence par "Je mate ma tocante. Il est six plombes". Ca veut dire quoi ? Le suite est en français. Mon oncle vient m’embrasser et me dit " je l’ai fini. Tu peux le garder, si tu veux." J’en lirai par la suite des dizaines. Par exemple, pendant mes premières années d’études, je ne lisais que des livres utiles. San Antonio était la seule lecture de délassement que je m’autorisais.

     

     

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